La SCI est un outil privilégié de gestion et de transmission du patrimoine familial immobilier ; aussi est-il plutôt fréquent que des mineurs y soient associés, en pleine propriété ou en nue-propriété.
Rappelons ici utilement quelques principes concernant la minorité.
- un mineur peut être propriétaire de biens mobiliers (parts sociales) ou immobiliers, sans aucune restriction,
- jusqu’à l’âge de 18 ans, les biens du mineur sont administrés par ses parents, lesquels ont également la jouissance de ces mêmes biens ; toutefois la jouissance des biens cesse deux ans avant la minorité, à l’âge de 16 ans,
- lorsque l’enfant possède ses deux parents et qu’ils exercent tous deux l’autorité parentale, on parle alors d’administration légale « pure et simple », ce qui signifie que les parents peuvent réaliser les principaux actes sur le patrimoine du mineur ; le divorce des parents ne modifie pas cette situation,
- en cas de décès de l’un des parent, ou si l’un d’eux se trouve privé de l’autorité parentale, l’administration légale est dite « sous contrôle judiciaire », ce qui signifie en pratique que les actes du parent disposant de l’autorité parentale seront placés sous la surveillance du juge des tutelles qui devra donner son accord pour certains actes.
La confrontation des principes ci-dessus et des règles applicables aux SCI amène à s’interroger sur plusieurs problématiques spécifiques telles que la qualité d’associé du mineur, la possibilité de réaliser des apports, son obligation au passif, son implication dans les principales décisions sociales, son droit aux bénéfices et enfin la cession de ses parts.
Au préalable, trois éléments doivent être rappelés :
– la SCI est une société dans laquelle les associés encourent une responsabilité sur leur patrimoine personnel, au prorata de leur part dans le capital. Ainsi si une SCI ne peut honorer ses dettes, un créancier pourra agir contre l’associé possédant 15 % du capital pour lui demander le paiement de 15 % du passif qui lui est dû. Cet élément revêt une importance particulière s’agissant du mineur associé, puisque cette obligation au passif revêt une dangerosité certaine. Il n’en est pas de même dans les sociétés à risque limité (SARL, SAS, SA…)
– fréquemment le mineur sera nu-propriétaire des parts sociales de la SCI et non pas pleinement propriétaire. En effet, pour des raisons d’économie fiscale, les parents réalisent plutôt une donation de la nue-propriété à leurs enfants, en, se réservant l’usufruit. Cette réserve d’usufruit leur garantit en outre le versement de revenus et la possibilité de prendre eux-mêmes la plupart des décisions de gestion.
– s’agissant du mineur associé, il semble que le droit positif ne soit pas toujours fixé de manière claire ; en effet les textes du Code civil ne traitent pas directement de cette question et la jurisprudence demeure rare. Aussi les solutions qui vont être indiquées ci-après, et qui sont largement partagées par les praticiens du droit, sont souvent commandées par la prudence.
- – la qualité d’associé du mineur
Tout mineur peut être associé d’une SCI dans la mesure où aucune capacité spécifique n’est exigée par le Code civil. Il n’en serait pas de même dans une société en nom collectif (SNC) où tous les associés doivent avoir la capacité commerciale et donc être majeurs. Au plan formel, le mineur peut devenir associé de quatre manières :
- par apport au moment de la constitution (voir 2 ci-après) ; on notera que les statuts devront être signés de ses représentants légaux, le mineur ne pouvant pas agir seul,
- par achat de parts sociales d’une SCI existante, auquel cas l’acte devra être passé par ses représentants légaux,
- par succession, aucune formalité n’étant requise,
- par donation, les représentants légaux devant alors accepter la libéralité pour le compte du mineur.
En revanche, même si aucun texte ne l’interdit formellement, le mineur ne semble pas pouvoir être gérant de la SCI. Outre que cela ne serait guère opportun, la responsabilité encourue par le gérant de société n’est pas compatible avec la nécessaire protection du mineur.
- – les apports réalisés par le mineur
C’est ici que les difficultés se concentrent avec notamment la question de savoir si le juge des tutelles doit intervenir pour tous types d’apports.
– si l’apport du mineur porte sur un immeuble dont il est propriétaire, le juge des tutelles doit y consentir, ce qui alourdit considérablement la création de la SCI. Cette règle est posée par l’article 389-5 du Code civil dans les termes suivants : « Même d’un commun accord, les parents ne peuvent (…) apporter en société un immeuble (…) appartenant au mineur, (…) sans l’autorisation du juge des tutelles. » Cette règle vaut si l’enfant a ses deux parents (administration légale pure et simple) mais également a fortiori en cas d’administration légale sous contrôle judiciaire (ex : un parent décédé).
– si l’apport du mineur porte sur des sommes d’argent ou des meubles d’autres types, la question devient plus complexe. En effet, d’un côté le texte de l’article 389-5 du Code civil ne vise pas ces hypothèses, ce qui laisse à penser que l’apport peut être autorisé par les seuls parents du mineur. Mais d’un autre côté, le texte mentionné rend obligatoire l’autorisation du juge des tutelles en cas d’emprunt contracté par les parents au nom du mineur ; or réaliser un apport à une SCI reviendrait à rendre le mineur responsable sur ses biens personnels (en raison de la responsabilité qu’il encourt dans une SCI), ce qui équivaudrait à un emprunt. L’accord du juge des tutelles serait donc requis, par prudence, et faute d’un texte plus précis.
- – le mineur et l’obligation au passif dans la SCI
Comme cela a été énoncé, l’obligation au passif dans une SCI est indéfinie et en proportion du capital détenu (responsabilité dite conjointe). Particulièrement dangereuse pour le patrimoine du mineur, cette obligation au passif l’engagera sur son patrimoine, lequel est administré par ses parents. La meilleure protection du mineur contre ce risque consisterait à pouvoir limiter sa responsabilité comme cela est le cas dans d’autres formes de société. Deux questions alors :
- cette limitation de responsabilité peut-elle être réalisée par une clause des statuts de la SCI ? Bien que certains praticiens préconisent cette solution, la réponse juridique est négative puisque cela changerait de manière fondamentale la nature de la SCI et obligerait chaque créancier à vérifier le contenu de statuts avant de contracter avec la personne morale. On considère de plus que la responsabilité indéfinie et conjointe des associés est une responsabilité-plancher qui pourrait être augmentée mais non pas réduite. Une telle clause est selon nous sans effet, tant qu’elle n’est pas corroborée par une renonciation du créancier à agir contre les biens du mineur.
- un créancier déterminé peut-il dans une situation contractuelle particulière (emprunt…) renoncer à poursuivre le mineur, cette réduction de sa garantie financière pouvant être compensée par une clause de solidarité des associés majeurs ou plus simplement une garantie consentie au créancier ? Ici la réponse est affirmative, et a été confirmée à plusieurs reprises : un créancier peut valablement renoncer à agir contre le patrimoine personnel d’un ou plusieurs associés. Mais cette limitation ne vaut qu’à l’égard du créancier qui la consent et non à l’égard de tous. En contrepartie, il peut valablement négocier une extension de la responsabilité des autres associés, les majeurs par exemple, soit par un engagement solidaire, soit par un cautionnement solidaire donné par un ou plusieurs d’entre eux (les deux mécanismes étant en pratique équivalents)
- – les décisions sociales
Les principes applicables sont ici plus simples, notamment car les règles relatives aux décisions prises au sein de la SCI ne sont pas directement impactées par la présence d’un mineur, les mesures de protection se concentrant au moment de son entrée dans la SCI (apports). En effet, les décisions sont soit prises par le gérant, soit adoptées en assemblée générale. En premier lieu gérant n’est pas limité dans ses pouvoirs par la présence d’un mineur ; il doit agir en conformité avec l’objet social et respecter les éventuelles limitations fixées dans les statuts.
Ainsi a-t-il été jugé (Première chambre civile de la Cour de cassation du 14 juin 2000) que si une SCI, dont l’associé majoritaire est un mineur, réalise un emprunt bancaire, l’autorisation du juge des tutelles n’est pas nécessaire, puisque la capacité de la société est indépendante de celle de ses associés. Cette solution se comprend bien en droit ; toutefois elle étonne au plan pratique : ainsi, le juge des tutelles devra-t-il autoriser l’apport de quelques centaines d’euros fait par le mineur au moment de la création de la SCI, mais il ne sera pas consulté au moment où la société pourra s’endetter très lourdement…
En second lieu, et pour les décisions votées en AG, le mineur est pleinement représenté par ses parents qui voteront en ses lieu et place. Ceci, quelle que soit la décision prise par l’assemblée générale, décision de gestion ordinaire ou décision plus lourde de conséquences (fusion, vente d’un actif, garantie donnée…)
Là aussi, une telle solution n’est pas en conformité avec l’objectif de protection du mineur ; d’autant plus que le texte de l’article 389-5 du Code civil prévoit la nécessité d’une autorisation du juge des tutelles toutes les fois que les parents envisageront de vendre un immeuble appartenant au mineur ou de renoncer à un droit pour lui. Certains praticiens sollicitent l’accord du juge des tutelles préalablement à une assemblée générale dont l’ordre du jour appelle des décisions importantes. Même si cela ne constitue pas une obligation légale, ce principe de précaution semble important.
Enfin, lorsque le mineur est nu-propriétaire des parts de la SCI dont ses parents sont demeurés usufruitiers, les textes prévoient une répartition du droit de votre entre eux ; mais l’on sait aujourd’hui qu’en application de la jurisprudence, le droit de vote peut-être totalement dévolu à l’usufruitier à la condition que le nu-propriétaire conserve le droit de participation aux assemblées (droit qui s’entend notamment d’être convoqué et de pouvoir assister à l’AG). Toutefois, dans le cas où le nu-propriétaire est mineur, les principes énoncés plus haut conduisent à penser qu’il sera représenté pleinement aux AG par ses administrateurs légaux.
- – la répartition des bénéfices en présence du mineur
Cette question est résolue de manière simple par le droit applicable. Les parents ayant la jouissance des biens du mineurs (en l’occurrence les parts sociales), ce sont eux qui vont recueillir les bénéfices sociaux distribués. Le droit de jouissance légale va s’appliquer aux revenus produits par les parts sociales mais non pas aux éléments pouvant s’assimiler au capital lui-même. Ainsi les réserves de la SCI ne tombent pas sous le coup de la jouissance légale, pas plus que les éventuelles plus-values retirées de la vente des parts. Seuls sont concernés les bénéfices sociaux distribués par décision de l’assemblée générale.
- – la cession des parts du mineur
Encore et toujours se pose ici la question de savoir si l’autorisation du juge des tutelles doit être ou non requise. Et comme dans les cas précédents, un dilemme apparaît entre l’absence de prescriptions légales claires et ce que la prudence et la logique commandent.
La vente des parts du mineur est un acte au moins aussi important que la vente d’un immeuble qu’il pourrait posséder de manière directe. Or l’autorisation du juge des tutelles n’est requise formellement que pour la vente de l’immeuble… Il conviendrait donc, afin de satisfaire l’impératif de protection du mineur, de solliciter l’intervention du juge des tutelles.
En résumé et conclusion, on perçoit bien les insuffisances des textes en la matière. Les solutions appliquées par les praticiens, notaires principalement, conduisent souvent à faire prévaloir la prudence et la protection du mineur sur la lettre du Code civil.